« Un jour, un petit fil se rompt… »

Erik Orsenna, homme de lettres et académicien, suit le déploiement d’ALIS depuis ses débuts. Il nous fait l’honneur de signer un éditorial exceptionnel en hommage à son ami Jean-Dominique Bauby, fondateur de notre association. Nous le remercions infiniment pour ses mots émouvants et si vivants.

Un jour, un petit fil se rompt, là, derrière le crâne, juste en haut du dos. 

Et soudain, la vie bascule, mais continue.

Tout autre, mais vivante. 

Tout ce qui paraissait tellement simple qu’on n’y pensait pas, tous les gestes, tous les actes deviennent des épreuves, des parcours, des courages. 

Chez le patient (jamais aussi bien nommé).

Et chez ses proches (jamais si proches, sauf ceux qui ont fui). 

J’ai connu ce bouleversement chez un ami. 

J’ai connu son avant, l’existence trépidante d’un « rédacteur en chef».

J’ai connu son après, une chambre à Berck, son balcon sur la Manche.

J’ai connu son avant, les mots qui jaillissaient facile, pour un artifice, un édito.

J’ai connu son après, les lettres qu’il faut saisir, une à une. Les yeux qui clignent. Les phrases conquises, les sourires silencieux.

J’ai connu le courage de cet écrivain-là, Jean Dominique Bauby. 

Je me souviens de ces lettres devenues lignes, une à une, de ces lignes devenues pages, de ces pages devenues livre, « Le Scaphandre et le Papillon », noblesse et vaillance !

J’ai connu ces verres de cognac, partagés avec Anne-Marie Perier, sa patronne, son amie, ces shoots de réconfort dans le train du retour.

Depuis, vous pouvez imaginer, je suis passionnément les progrès, les batailles de toutes celles et ceux qui ne supportent pas l’idée de laisser victorieux ce petit fil rompu, un beau jour, là, derrière le crâne. 

J’aime d’amour cette association créée par ce Jean Dominique. 

Quel plus beau nom pouvait-il choisir pour elle que le prénom Alice, ou peu s’en faut ?

ALIS, Alice pour, sinon s’installer dans un pays des merveilles, au moins sortir du cauchemar, et d’abord celui de l’enfermement en soi-même.

ALIS pour découvrir qu’on n’est pas seul et que des moyens se multiplient pour aider à s’extirper du scaphandre. 

ALIS pour proposer des appuis, des prises en charge et des équipements quand le malheur frappe. 

ALIS pour participer à la recherche, et faire connaître ses avancées.

ALIS pour saluer les bonnes nouvelles : vive, par exemple, vive, vive les nouvelles technologies !

ALIS pour rassembler les forces, tous unis, tous, contre ce mauvais sort. 

ALIS qui a besoin de vous pour continuer son œuvre admirable d’inlassable tisseuse et retisseuse. 

La disparition de Jean-Do, ce triste 9 mars 1997, son livre une fois fini, n’est pas une raison pour ne plus nous parler. Sur la terrasse de Berck, son silence n’avait jamais empêché nos échanges, nous avions peu à peu trouvé des méthodes. Alors je peux vous dire qu’il est super fier d’ALIS, qu’il salue son action, et que du coin de l’œil il vous embrasse, tous et toutes.

Erik Orsenna

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