LIS, identité et qualité de vie : dix-sept ans de recherches

Le Dr. Marie-Christine Nizzi, doublement diplômée en philosophie (Panthéon-Sorbonne) et en Psychologie (Harvard University) est une éminente chercheuse française en neurosciences et grande amie d’ALIS. Elle mène depuis de nombreuses années des recherches au locked-in syndrome, contribuant ainsi à donner une voix aux personnes atteintes de ce syndrome au sein de la communauté scientifique. Elle partage ici le fruit de son étude sur « l’identité et la qualité de vie » menées durant près de dix-sept années grâce à la participation de bon nombre d’entre vous.

Les études scientifiques sont le plus souvent publiées dans des revues spécialisées en anglais, à l’adresse d’autres chercheurs. Pourtant, vous êtes le véritable sujet ici. Vous servir est au cœur de ma mission scientifique. Je vous livre ici les enseignements issus de vos témoignages, dénués de tout jargon technique ou statistiques obscures, afin de vous offrir des conseils pratiques que vous pouvez directement intégrer à votre quotidien.

Je suis philosophe et psychologue. Ma compétence pour répondre à cette question ne tient pas au développement de logiciels ou de fauteuils adaptés. Pour vous aider, je vous ai posé des questions pour mieux comprendre vos expériences, diverses, individuelles, profondément personnelles. En particulier, je vous ai interrogés sur votre vécu identitaire et votre qualité de vie.

Pour mon premier doctorat, j’ai fait une thèse de philosophie sur l’identité personnelle. Ce que j’ai découvert, c’est que depuis l’Antiquité de Platon, la philosophie occidentale a pensé l’identité comme ce qui reste le même. Je reste identique si je ne change pas. Comment, alors, vivre des changements majeurs sans perdre mon identité ? Est-ce que je peux rester moi-même en étant LIS ? Est-ce que je suis la même personne avant et après ?

C’est une question très personnelle. La réponse peut varier dans le temps. C’est une question cruciale parce que la réponse conditionne nos attitudes. Qu’en pensent les médecins quand ils rencontrent une personne LIS ? Qu’en pensent les élus politiques en charge de moderniser nos lois de santé ? On ne peut pas se satisfaire d’une réponse théorique en la matière : il nous faut l’avis des personnes concernées.

Alors, pendant plusieurs années, je vous ai posé cette question.
Dans votre expérience de l’avant-après du LIS, vous sentez-vous comme la même personne ?
Votre vécu est-il celui d’une adaptation à un changement majeur que vous avez pu réconcilier, intégrer à votre identité ? Ou au contraire, est-ce un vécu en rupture identitaire, dans lequel vous ne vous reconnaissez pas aujourd’hui ?

D’année en année, environ 75% d’entre vous décrivent un vécu continu et 25% d’entre vous décrivent un vécu en rupture. C’est ce que le graphe ci-dessous représente.

Graph 1 : En moyenne, 75% de profils résilients

L’identité ouvre une fenêtre sur notre qualité de vie et nous informe sur notre santé psychique. Nos résultats montrent que, quand on a un vécu identitaire en rupture et qu’on ne se reconnait pas dans la personne qu’on est devenue, d’autres facettes de notre expérience sont prédictibles : on est plus souvent en détresse psychologique. On a plus de chances d’avoir des idées suicidaires. On a souvent des niveaux plus hauts d’anxiété et des niveaux plus bas de qualité de vie. On est plus susceptible de souffrir de dépression, d’un moindre sentiment de bien-être et d’une plus pauvre estime de soi.

Or le vécu identitaire est quelque chose sur lequel on sait pouvoir agir. Il existe des outils pour booster la résilience. Ces résultats suggèrent de nouveaux traitements.

Je publie et défends inlassablement ce point dans les comités d’experts auxquels je participe : quand on parle de qualité de vie et de vécu psychologique, aucun expert ne remplace votre voix. Les experts et l’opinion publique, quand ils évaluent l’expérience de ceux qui vivent avec des conditions rares, sous-estiment systématiquement la résilience des personnes concernées.

Ce n’est pas propre au LIS. La littérature scientifique appelle cela le « disability paradox ». Sur les deux graphes suivants, vous voyez que l’on retrouve ce bais dans notre dernière étude, où 38 patients LIS et 115 témoins ont évalué les dimensions ci-dessous.

Graphe 2 : Qualité de vie, bien-être, détresse psychique et estime de soi des personnes en situation de LIS, évalués par le public, des soignants, des aidants familiaux et des personnes en situation de LIS.
Graphe 3 : Les niveaux d’anxiété, de dépression et d’idées suicidaires chez les personnes en situation de LIS, évaluées par le public, des soignants, des aidants familiaux et des personnes en situation de LIS.

Les stratégies de coping sont les différentes réactions possibles face à l’adversité. Certains vont lister leurs questions et consulter un expert pour s’informer avant d’agir. D’autres vont se distraire de leur détresse émotionnelle en s’absorbant dans des activités qui n’ont rien à voir avec le problème. D’autres encore vont focaliser toute leur attention sur le problème au point d’avoir du mal à penser à autre chose.

Pour résumer ce que la recherche nous a appris dans d’autres domaines que le LIS, il faut distinguer les stratégies d’approche et d’évitement. Et, pour ne pas maintenir le suspens inutilement, la plupart du temps, ce sont les stratégies d’approche qui sont recommandées car elles optimisent la résilience, c’est-à-dire notre capacité de rebondir après un coup dur ou à surmonter une crise.

Les stratégies d’approche incluent des réactions comme : accepter le problème pour s’atteler à le résoudre au lieu de le combattre, être proactif, chercher des solutions, recruter de l’aide, chercher le positif dans la situation, utiliser son sens de l’humour.

Les stratégies d’évitement incluent des réactions comme : le déni, la rumination émotionnelle, laisser tomber l’espoir de surmonter le problème, se culpabiliser (je devrais y arriver…).

Boostez vos facteurs protecteurs

  • Renforcer son réseau social : nous n’avons pas tous le même soutien, mais il moins important d’avoir un grand réseau inné que de développer et de maintenir des relations solides avec des proches qui vous considèrent comme une personne à part entière (par opposition à ceux qui vous ignorent, parlent pour vous ou « au-dessus de votre tête »).
    o Identifier ses alliés professionnels : le réseau social s’étend aux professionnels. Capitalisez sur ceux qui vous écoutent comme de possibles sources de soutien quand votre voix n’est pas entendue ailleurs.
  • Renforcer l’efficacité personnelle : l’efficacité personnelle nait du sentiment de pouvoir trouver des solutions à ses problèmes, de pouvoir faire ses propres choix et de se sentir aux commandes de sa vie.
    • Même quand nos choix sont limités, certaines choses dépendent de nous. Cela peut être choisir une pensée plutôt qu’une autre face à une situation difficile. Essayez de lister une chose dont vous êtes l’acteur chaque jour.
    • Pour renforcer votre efficacité personnelle, fixez des buts « SMART » : spécifiques, mesurables, atteignables, reliés au problème à résoudre et temporaires (avec une date de fin).

Limitez vos facteurs de risque

  • Engager un soutien professionnel pour sortir de la rumination émotionnelle : ruminer nos problèmes peut nous donner le sentiment qu’on travaille à les résoudre alors qu’on est enfermé dans un cycle vicieux d’idées noires et de se sentir impuissant à en sortir. Avez-vous remarqué qu’il est plus difficile de résister à une sucrerie quand on a faim ? C’est le même principe ici : une fois qu’on est dans un état psycho-physiologique déprimé, il devient plus difficile d’en sortir par soi-même. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) offrent des outils pour apprendre à sortir de la boucle. Ces thérapies sont souvent brèves et, contrairement aux idées reçues, n’impliquent pas de s’allonger sur un divan pour parler de son enfance. Un psychologue formé aux TCC va cibler le problème avec vous, puis vous apprendre des exercices et stratégies pour sortir de la rumination émotionnelle.
  • Renforcer le vécu identitaire : de nombreuses expériences peuvent secouer notre vécu identitaire (deuil, divorce, naissance, changement professionnel, diagnostic…). La plasticité mentale a une énorme capacité d’adaptation, par laquelle on peut intégrer ces changements à notre histoire de vie. Deux conseils émergent :
    • D’une part, il est important de ne pas laisser son identité se résumer à l’événement qui a changé notre vie, aussi central soit-il. Certains ont déjà pratiqué cet exercice lors de nos études : listez 20 caractéristiques qui vous décrivent. Faites un effort pour vous rappeler et cultiver les autres parts de votre identité : par exemple, vos valeurs morales sont peut-être toujours les mêmes, ou votre personnalité, vos amis, vos goûts… Autorisez-vous également à développer de nouvelles facettes de votre identité : avez-vous découvert de nouveaux centres d’intérêts ?
    • D’autre part, à travers cette réflexion, vous renforcez le fait que votre identité vous appartient. Nos circonstances ne dépendent souvent pas totalement (ou pas du tout) de nous, mais nos réactions, nos choix, même nos décisions internes – comme quelle pensée favoriser ou quelle attitude adopter – peuvent être cultivées comme autant de facettes de vie dans lesquelles la personne que vous êtes peut s’exprimer. Voyez si vous pouvez faire une pratique régulière d’explorer et de cultiver votre identité.

Marie-Christine Nizzi
@MCNizziPhD
[email protected]

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